mardi 19 janvier 2010

Journalisme : l'enfer du style




Les journalistes de ma rédaction sont intelligents, brillants, ils cherchent la petite bête, ils ont souvent le mot juste et l'accroche qui fait mouche.

Mais comment, comment, comment se fait-il que leur sagacité s'arrête à la porte de leur dressing ? Au quotidien, il ne m'est pas rare de croiser des choses aussi révoltantes que des débardeurs en laine camel porté sur des chemises à carreaux boutonnées jusqu'au cou et un petit ventre signalant l'abus de déjeûners de presse bien arrosés. Et ce n'est pas tout : rapide panorama à 180°, de gauche à droite :

-Une chemise en vichy vert dépassant d'un jean délavé, taille haute et feu de plancher.

-Une polaire rouge brique sur pantalon de costume.

-Une cravate en tricot. Sans les atours dandy qui pourraient en faire un accessoire pointu, cela va sans dire. Elle accompagne un costume vert bouteille et une chemise au col si élimée qu'on n'oserait même pas la donner à l'Armée du Salut. Bonjour, cher red'chef !

- Un pantalon en velours porté "à la de Gaulle", c'est à dire sous les aisselles. Le propriétaite vient de fêter ses 36 ans, et il aime aussi les pulls jacquard en acrylique.

-Un mariage audacieux de pull camioneur et de cravate fuchsia. C'est un manifeste, visiblement : certains de mes collègues ont décidé de ne pas choisir entre sportswear et attributs de trader.

-L'honneur est sauvé par mon voisin d'en face qui fait tailler de très belles chemise col mao à Hong Kong et par un rédacteur en chef très élégant dans le genre old school (costumes de lin blanc, chapeaux... Voir l'illustration).

J'ai beaucoup de collègues hommes, vous l'aurez compris. Du côté du petit bastion féminin, c'est la Bérézina

-Floraison de perles saumon, pantacourts, mi-bas et mocassin Todd's (oui, les quatre à la fois).

-Du sportswear, encore, avec une prédilection pour les matières "techniques" de Décathlon.

-Un décolleté outrancier bordé de fourrure sur poitrine opulente et jupe mi-gros-mollets.

Le drame, c'est que si l'on excepte la presse féminine, où être une fashonista est une clause contractuelle, et la télé, où c'est une question de survie... C'est toute une profession qui est en détresse stylistique.

Glamour, le journalisme ? Tu parles ! Rien de plus déprimant qu'une conférence de presse, nid de sacs à dos avachis, de vestes en velours cotelé, de chemises doûteuses et de tailleurs moutarde.

Pourquoi ? Mon analyse optimiste, c'est que pour cette profession qui doûte, qui court aux basques des puissants et se complait dans les questions convenues, faire fi des codes et du goût, c'est le dernier moyen de manifester un semblant d'indépendance. Une solution pour dire que l'apparence n'intéresse pas le reporter, qui va sous la surface des choses.

L'hypothèse pessimiste, c'est que la glorieuse confrérie à laquelle j'appartiens a aussi peu de style que d'éducation. Mais ça, c'est une autre histoire... Bientôt, je vous raconterai les plus belles rustreries qu'il m'ait été données de voir en voyage de presse.


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